Pourquoi j’aime Julien Gracq.
Les écrivains curieux et passionnés du jeu d’échecs ne sont pas si nombreux, et ceux qui en parlent avec profondeur moins encore. Julien Gracq appartient à cette catégorie rare.
Jérôme HOUDIN pour Route64
J’ai aimé Julien Gracq, bien avant d’en lire la moindre ligne. Un écrivain qui annonce qu’il est « aussi résolument que possible, non candidat » au Prix Goncourt 1951 que la presse lui accorde déjà bien avant la délibération finale, qui se voit décerner le Prix et, conformément à son engagement, tient promesse et le refuse, ne pouvait laisser indiffèrent. Mais avoir l’occasion de lire Gracq lorsqu’on est un adolescent campagnard du sud le de Mayenne à la fin des années 70 n’est pas simple, car Gracq refuse que ses livres soient édités en livre de poche. Ce n’est donc qu’adulte que j’aurais la possibilité de goûter son style et le faire entrer dans mon panthéon littéraire aux cotés, entre autre, de Claude Simon, Louis-René des Forêts et Marcel Proust.
Découvrir que Louis Poirier (Julien Gracq est son pseudonyme d’écrivain) était féru de jeu d’échecs, ne pouvait bien entendu que fortifier mon intérêt. Et définitivement même, quand il explique « je n’ai jamais été initié aux échecs. J’ai tâtonné dans leur direction de moi-même, sans guide, difficilement mais obstinément, je leur ai appartenu dès le début sans que j’y eusse la moindre aptitude, comme la boussole au pôle magnétique. (Lettrines II), expérience identique à la mienne.
Tout comme la description de son lien au jeu, « je suis un lecteur de parties d’échecs plutôt qu’un joueur, parce que je ne suis pas doué du tout pour jouer. Il y a certaines qualités qui me manque, en particulier l’imagination visuelle des coups. » (Entretien avec Jean Daive en 1977). Ainsi, nous sommes au moins deux. Comme Gracq, lire les parties, les réflexions, les analyses des grands joueurs, m’offre souvent plus de plaisir et d’intérêt que d’en disputer soi-même.