Podium des championnats du monde d’échecs 2022 des moins de 8 ans (photo DR).
Confessions d’un prodige qui ne se prend pas la tête, très offensif dans le jeu, aimant prendre des risques, n’hésitant pas à sacrifier des pièces pour gagner une qualité, et qui avoue un faible pour l’ouverture sicilienne, quelle que soit la couleur des pièces…
Rencontre avec le tout frais champion du monde français des moins de 10 ans, qui a tenu à avoir un entretien échiquéen exclusif avec Route64, après avoir satisfait à ses obligations médiatiques pour la presse généraliste. David et son père, lecteurs de notre revue, dévoilent les coulisses du championnat du monde, mais également la passion familiale pour les échecs, et la révélation du jeune garçon lorsqu’il a eu l’occasion d’admirer les stars françaises, alors qu’il n’avait que 7 ans.
Joueur résolument offensif, il exprime non sans délectation son plaisir de « jouer des positions étranges, chaotiques, déséquilibrées, afin de surprendre mes adversaires ». Tout récent champion du monde des moins de 10 ans, le Français David Lacan-Rus est un enfant étonnant, à plus d’un… titre. En effet, il développe un jeu attrayant, risqué, pas dans les classiques rassurants, et n’hésite pas à accepter gambits, faire des sacrifices, ce qui lui a permis de remporter sur le fil son titre mondial. « Ma pièce préférée est le fou », raconte-t-il à Route64. Pièce fétiche qu’il n’hésite pour autant pas à sacrifier quand cet acte lui permet de remporter le titre mondial ! C’est ainsi que le petit dragon frenchy David a terrassé le Goliath américain Patrick Liu, alors en tête de la compétition, lors de la 11e et dernière ronde du Mondial des U10, qui se déroulait à Batoumi (Géorgie), du 15 au 28 septembre derniers.
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« J’étais venu à Batoumi pour jouer mon meilleur jeu et être champion du monde, c’était mon envie, mon ambition ».
Pourtant le tournoi était mal engagé pour le jeune champion de France 2021, car bien que 8e elo sur quelque 150 participants, il s’inclinait deux fois contre des adversaires plus faibles sur le papier, aux 4e et 6e ronde, contre un Grec puis un Arménien… Sauf que David n’était alors pas au meilleur de sa forme, il explique pourquoi en exclusivité pour Route64, un fait qu’il avait jusqu’à présent gardé pour lui : « J’étais victime d’une sévère intoxication alimentaire, et j’ai vomi trois fois lors de ma partie contre mon adversaire arménien… Je perds, et je suis quasiment prêt à aller aux urgences. Heureusement le lendemain est le jour de repos, et si on a évoqué mon abandon et mon retour en France, j’ai voulu attendre de voir comment je me sentais, car je ne voulais pas partir ». Voilà qui explique en partie sa défaite de la 6e ronde, mais montre surtout une grande force de caractère : « J’étais venu à Batoumi pour jouer mon meilleur jeu et être champion du monde, c’était mon envie, mon ambition ». A 10 ans seulement, voilà qui laisse entrevoir ce qui fait la différence entre un champion et un autre joueur, encore plus que David était bien éloigné de sa famille, très protectrice à son égard. C’est ainsi que lors de la reprise du Mondial, David effectue une impériale remontada, remportant les cinq dernières rondes du tournoi, et l’emportant lors de son dernier match contre le redoutable américain, grâce à un sacrifice de fou ! Quasiment de la veine d’une épopée antique, avec ce suspense jusqu’au bout, cette dramatisation… David n’a rien lâché, s’emparant ainsi de la couronne mondiale, ce qui n’était pas arrivé à un Français de cette catégorie depuis 32 ans : en 1991, Adrien Leroy était lui aussi sacré en U10, mais laissait de côté les échecs cinq ans plus tard. Maître FIDE, il se consacre désormais à la… poésie. David succède également à un des plus grands noms des échecs français : le GM Etienne Bacrot, qui lui fut sacré en U10 et U12, au milieu des années 1990. Une sacrée référence.
Coup de foudre avec les échecs lors d’un Top16
De retour en France, David et son père Marius ont tenu à rencontrer Route64, dont ils sont de fidèles lecteurs. « A titre personnel j’aime bien Route64, car elle traite des échecs par le prisme de la culture, ce qui s’inscrit en droite ligne de notre histoire familiale », raconte Marius Voinéa, le papa du champion. « Mon propre père, un intellectuel d’origine roumaine, ne jouait pas aux échecs, c’est-à-dire ne faisait pas de parties, mais s’intéressait beaucoup au jeu par le biais de lectures. Il lisait les biographies des grands joueurs, mais aussi des livres d’études de positions. Je me suis inscrit dans cette lignée, en apprenant les échecs par les livres, dans sa filiation, à la différence près que moi je disputais des parties, ayant un atteint un modeste niveau de 2000 elo. David perpétue cela, il y a comme une fibre familiale intérieure, une voix qui appelle aux échecs », raconte Marius, qui se dit surtout « impressionné par le niveau de patience de son fils », auprès duquel cet enseignant assure le rôle de répétiteur.
Cette patience, et cette fascination pour les échecs, elle a été constatée voilà trois ans, à l’occasion d’un Top 16 qui se disputait à Chartres, ville d’Eure-et-Loir où réside la famille ; une des cités les plus échiquéennes de France (lire notre n°5 à ce sujet). David raconte sa rencontre avec les échecs : « Papa m’avait juste appris à jouer, et comme il avait envie d’aller au Top 16 je l’ai accompagné. J’ai vu de grands joueurs, les parties étaient retransmises sur des écrans, et ce qui m’a impressionné est qu’ils réfléchissaient pendant longtemps… Je me demandais à quoi ils pouvaient bien réfléchir, c’était comme si j’étais hypnotisé ». En clair, un véritable coup de foudre entre David et les échecs, même si le garçonnet, alors âgé de 7 ans, ne connaissait du jeu que les bases du déplacement des pièces, transmises par son père. « Dès que je les ai vus, ça m’a tout de suite plu. Je ne comprenais pas grand-chose, mais je me suis dit que peut-être un jour je pourrais être comme eux, atteindre leur niveau et leur degré de réflexion. Bon, ce n’est pas encore le cas mais j’espère être sur la bonne voie ! », poursuit David, enfant très joyeux, rieur, qui surtout ne se prend pas la tête, laquelle n’a pas grossi depuis son titre mondial ! Une fraîcheur salvatrice, rassurante, due également à son proche entourage familial, qui met en place les précautions nécessaires pour faire que les échecs restent avant tout un plaisir pour leur enfant.
« Papa m’avait juste appris à jouer, et comme il avait envie d’aller au Top16 je l’ai accompagné. J’ai vu de grands joueurs, les parties étaient retransmises sur des écrans, et ce qui m’a impressionné est qu’ils réfléchissaient pendant longtemps… »
La suite est écrite : suite à ce Top 16, à la rentrée de septembre 2019, David a rejoint le C’Chartres Echecs, sa progression étant fulgurante en terme d’elo. « J’ai débuté vers les 1400 elo, avec pour objectif d’atteindre les 2000 elo. Je savais que c’était possible car j’avais battu, en Italie, des joueurs classé au-dessus des 2000 elo ». Effectivement, il est indéniable qu’il présente des qualités et dispositions hors normes pour les échecs, tout le monde a pu s’en rendre compte lorsque lors d’une simultanée il a battu le GM Namig Guliyev, rien moins ! « Certes il a des facilités, comme sa capacité de calcul, mais ce qui me marque le plus chez mon fils c’est sa patience, vraiment, surtout à cet âge-là », commente Marius. Sollicitée de toutes parts par des clubs, la pépite David Lacan-Rus est depuis six mois licenciée à Marseille échecs, après le C’Chartres échecs et un autre club en région parisienne. « Après plusieurs entretiens, c’est le club qui nous est apparu comme étant le meilleur choix pour David, notamment dans son approche pédagogique. Il est entraîné par Guillaume Philippe, à raison de deux séances de visio par semaine, et nous sommes contents, lui et nous, de cette situation », précise Marius Voinéa, qui, avec la mère de David, entendent à la fois permettre à leur fils de s’épanouir dans les échecs tout en poursuivant sa vie normale de garçon de 10 ans. De facto candidat Maître FIDE de par son titre mondial, David a pour prochain objectif les 2200 elo, sachant qu’actuellement il est 1886 elo, après son mondial, qui en fait l’a vu perdre quelques points, puisque ayant essentiellement affronté des joueurs moins bien classés que lui. Mais aussi reconquérir son titre de champion de France, et ensuite défendre sa couronne mondiale ! Aux âmes bien nées (et douées), la valeur n’attend point le nombre des années, pour paraphraser la réplique de Rodrigue, personnage central de la pièce « Le Cid », de Pierre Corneille (1636).
De facto candidat Maître FIDE de par son titre mondial, David a pour prochain objectif les 2200 elo !
Une ovation dans la cour de son école !
Et l’école, dans tout cela ? David est en classe de CM2, et pour le moment pas trop de soucis d’absences, l’essentiel des compétitions se déroulant le week-end, hormis ce mondial. Reste qu’il se souviendra longtemps de son retour à l’école, une fois le titre en poche, puisque le jeune champion a été accueilli sous une ovation, un tonnerre d’applaudissements, par tous les élèves qui étaient rassemblés dans la cour de l’établissement ! Il était suivi par un reporter de la chaîne M6, qui filmait ce retour à l’école, et pour les besoins du reportage a disputé une partie à l’aveugle… à seulement 10 ans, donc. Depuis, la directrice de l’école veut créer un atelier échecs au sein de son établissement ! Mature pour son âge, très ouvert et sympathique, David n’a rien de l’image qu’on pourrait se faire d’un précoce champion d’échecs, puisqu’il est un gosse comme les autres, avec ses copains et autres loisirs, comme le piano, le ping-pong, la natation, ou le tennis, discipline dans laquelle il est un des meilleurs français de sa catégorie d’âge, avec un classement de 30/1 ! « En fait il a montré des talents tennistiques avant de découvrir les échecs, puisque dans les dix meilleurs français de sa catégorie d’âge. La FFT l’avait repéré, mais voulait nous imposer une scolarité adaptée pour le prendre en charge, ce que nous n’avons pas accepté, au nom de son équilibre », raconte son père.
Les échecs matent le tennis dans ce premier set !