Nadezhda Marochkina : « Je me suis remise aux échecs en arrivant au Sénégal »
Dossier spécial Sénégal
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Dans les rues populeuses du quartier de Plateau, à Dakar, Nadezhda Marochkina détonne. La trentenaire aux cheveux blonds et aux yeux bleus marche d’un pas élancé et sûr en plein centre de la capitale sénégalaise, sa ville d’adoption. Rien ne prédestinait cette joueuse d’échecs d’origine russe à vivre au Sénégal et, même plus, à représenter le pays de la Teranga à l’international. Pourtant, aujourd’hui, 10 ans après son installation en Afrique, elle truste le haut du classement des meilleures joueuses d’échecs du Sénégal et d’Afrique de l’Ouest. Elle a même porté les couleurs des Lionnes aux Olympiades de Chennai, en juillet 2022 en Inde, et obtenu à cette occasion le titre de candidate maître.
Nadezhda Marochkina a été nommée vice-présidente de la Confédération Africaine des Échecs.
En marge du tournoi international, Nadezhda Marochkina a par ailleurs été nommée vice-présidente de la Confédération Africaine des Échecs. Mieux, elle s’épanouit pleinement sur le plan personnel malgré ce parcours pour le moins original. « Avec mon travail, j’ai beaucoup voyagé en Sierra Leone, au Nigéria, en Ouganda… je peux vous dire que le Sénégal, c’est le top. Le pays est stable politiquement, sécurisé, il y a des autoroutes, de grands supermarchés, des aéroports internationaux, des bons restaurants, une culture très riche. Ici, c’est le paradis ! », s’enthousiasme-t-elle, le sourire aux lèvres. Au début des années 2010, elle a suivi son mari, un australo-allemand gérant de Philip Morris en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. D’abord à la tête d’un restaurant à la pointe des Almadies, un cap dakarois réputé, Nadezhda Marochkina opte par la suite pour un métier de bureau « plus tranquille ». Dans la continuité de son emploi quelques mois plus tôt chez Nestlé, à Moscou, elle rejoint le secteur marketing de Samsung pour la région Sénégal, Gambie et Mauritanie. Dans le même temps, elle collabore avec le gouvernement sénégalais dans le secteur du bâtiment et, depuis deux ans, elle est aussi directrice du marketing et de la communication de la Fédération des Échecs Sénégalaise (FESEC). Sans oublier, bien sûr, sa pratique régulière du jeu des rois dans le cadre de tournois nationaux et internationaux et son footing quotidien sur la corniche de Dakar… en plus de la mise au monde de deux enfants et de l’adoption de la nationalité sénégalaise ! Avec un emploi du temps chargé et réglé au millimètre, courir « diminue mon stress, comme la méditation », explique cette joueuse nerveuse par nature, dont le pouls bat à 140 battements par minute pendant une partie, « comme quand je cours ! ».
Après quelques années à Moscou, la joueuse désormais plutôt femme d’affaires quitte le sol russe, direction le Sénégal où elle suit son mari : « Là, je me suis remise aux échecs sérieusement ». Mais comment et pourquoi reprendre les échecs au Sénégal lorsque l’on vient d’une terre échiquéenne comme la Russie ? « Il faut être patient pour trouver sa routine à Dakar, avoir ses habitudes. Les échecs me sont revenus naturellement à l’esprit car c’est aussi un bon moyen de sociabiliser, de trouver de nouveaux amis, d’entrer dans de nouveaux cercles ». Une recherche internet, la découverte d’une page Facebook obscure et voilà Nadezhda inscrite à sa première compétition locale !
« Ce n’est pas facile pour les femmes car il ne faut pas oublier que nous sommes dans un pays musulman, où les femmes n’ont pas forcément l’opportunité de jouer »
Nadezhda Marochkina : « Je me suis remise aux échecs en arrivant au Sénégal ».
Après quelques tournois, elle commence à comprendre l’organisation ou plutôt l’absence d’organisation, constate le manque d’une fédération digne de ce nom… et rencontre Amadou Lamine Cissé, l’actuel président du comité de normalisation de la FESEC. « Avec Lamine, nous avons commencé à ouvrir des classes d’échecs, à développer des partenariats avec des associations », bref, à relancer une dynamique échiquéenne au Sénégal. La russo-sénégalaise compte parmi les 10 joueuses du pays, un chiffre extrêmement faible dans un pays de près de 17 millions d’habitants : « Ce n’est pas facile pour les femmes car il ne faut pas oublier que nous sommes dans un pays musulman, où les femmes n’ont pas forcément l’opportunité de jouer… mais nous sommes dans la bonne direction avec le soutien du ministre des Sports, Matar Bâ ».
Avec le goût retrouvé pour les échecs, la joueuse se fixe désormais comme objectif, « en étant réaliste », d’atteindre les 2000 ELO. Mais, avant tout, elle joue « pour motiver les gens, les jeunes filles, montrer l’exemple et développer les échecs dans ce pays que j’aime, mon deuxième pays ». Et comme rien n’est laissé au hasard dans la vie de l’ambitieuse Nadezhda Marochkina, elle conclut en disant que sur l’échiquier, sa pièce préférée est le pion, « car il peut devenir ce qu’il veut être, c’est la pièce qui a le plus de perspectives du plateau ».