Le maître FIDE Joachim Mouhamad consacre chaque jour de sa vie aux échecs afin de réaliser son rêve : devenir grand maître international. Il analyse chacune de ses parties sur sa chaîne YouTube, apportant une touche émotionnelle qui fait tout son charme. « Jo » avait initialement entamé une carrière d’auditeur financier alors… pourquoi avoir tout plaqué pour le jeu des rois ?
Temps de lecture : 18 minutes
« Si tu demandes aux personnes du milieu des échecs si je peux devenir grand maître international, ceux qui sont honnêtes te diront que c’est impossible. » Joachim Mouhamad, joueur d’échecs classé 2244 ELO au dernier classement (interview réalisée en février 2023) et maître FIDE depuis 2017, affirme pourtant avec assurance qu’il y parviendra un jour ou l’autre. Café au lait à la main, assis derrière un échiquier placé sur la table basse de son salon, « Jo » répond avec calme et passion aux questions sur sa vie échiquéenne et sa volonté de devenir grand maître. Si son rêve semble inatteignable pour les observateurs chevronnés, il n’en travaille pas moins chaque jour pour le réaliser, entre apprentissage, tournois, vidéos YouTube et live sur Twitch
Le joueur-créateur de contenus se met notamment en scène dans une série de vidéos intitulée « Road to GM » – que l’on pourrait traduire par « ma quête de grand maître » – dans laquelle il retrace chacune de ses parties en compétitions. Anecdotes hilarantes, analyses poussées, états d’âme et ressentis psychologiques rythment les vidéos de celui qui appelle sa communauté YouTube de plus de 23.000 abonnés « les pélos ». « Je sais que je vais devenir grand maître, j’y crois à 2000%, ce n’est pas du marketing », affirme Joachim. Toute sa force, en tant que vidéaste, réside dans son authenticité et sa simplicité. En tant que joueur, son objectif l’anime au quotidien mais il considère le titre de grand maître comme une simple reconnaissance. Sa quête réelle est bien plus profonde, bien plus vaste : maîtriser le jeu d’échecs. « Tu montres une position à n’importe quel GM, il sait ce qui se passe sur l’échiquier, il a une compréhension du jeu qui démontre sa maîtrise », avance-t-il avec admiration avant d’ajouter : « Je ne peux pas jouer à un jeu toute ma vie sans le maîtriser ». Sa confiance en lui, certes inébranlable, se heurte à un obstacle de taille : son âge. L’immense majorité des grands maîtres internationaux obtiennent leur titre à l’adolescence, or Joachim souffle en 2023 sa trentième bougie…
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Pourtant, Joachim Mouhamad débute les échecs à « 6 ou 7 ans, un âge raisonnable ». Ses premières émotions échiquéennes, le futur maître FIDE les ressent dès la classe de CE2 lorsqu’un intervenant, l’entraîneur Yannick Couliou, vient introduire les échecs aux enfants et leur proposer de jouer un tournoi scolaire. Jo habite à ce moment-là Grand-Quevilly, en Normandie, ville dont il rejoindra le club après avoir triomphé de ses jeunes adversaires de l’école : « Je tentais coup du berger sur coup du berger, je me rappelle très bien qu’après 1.e4 e5, je jouais fou c4 avant de sortir ma dame pour cacher mes intentions… Ensuite je faisais dame h5 et intérieurement je bouillonnais, excité à l’idée de piéger mon opposant et de réussir ma combinaison ! ». Encore enfant, Joachim rejoint donc Yannick Couliou au club de Grand-Quevilly et l’entraineur lui transmet « un amour sans limite pour le jeu ». Les années défilent et les échecs ne quittent jamais le jeune homme… sans s’imposer comme choix professionnel. « Mon père a travaillé chez Renault toute sa vie, ma mère dans un rayon dans la grande distribution… Moi, je devais faire des longues études, j’ai été formaté pour cela », retrace Jo. Au collège, il assure vouloir devenir médecin, pour le plus grand plaisir de ses parents. Au lycée, il obtient un baccalauréat scientifique à l’issue duquel il formule trois vœux pour ses études supérieures : classe préparatoire de mathématiques, classe préparatoire de physique-chimie et économie commerciale option scientifique. « J’avais mis les options les plus prestigieuses alors que j’avais eu 10 en maths au bac et que je n’aimais pas la physique-chimie ! », se souvient-il avant de songer : « J’ai été accepté pour le troisième choix, économie commerciale, mais c’était un choix pour optimiser les études, pas un choix du cœur ». Joachim quitte la Normandie direction Lille, où il intègre la SKEMA Business School. Les études supérieures correspondent aussi au pic échiquéen de l’étudiant-joueur : 2350 ELO. Pour y parvenir, il n’hésite pas à faire une fausse convention de stage à la fin de sa dernière année d’études pour pouvoir jouer des tournois tout l’été ! Puis la raison l’emporte encore sur la passion et Jo se lance dans la vie professionnelle.
« Plus je travaille,
plus je déteste mon job »
Sa carrière débute mais même pendant ces premières années, Joachim avoue : « J’ai toujours mon Dvoretski avec moi (du nom de Mark Dvoretski, joueur russe connu pour ses livres échiquéens, ndlr) et plus je travaille, plus je déteste mon job, plus je consacre de temps aux échecs ». Épuisé par une tâche d’auditeur financier prenante, il consacre ses soirées aux échecs « avec le cerveau déjà fracassé par la journée ». Petit à petit, Jo réalise à quel point le jeu est important pour lui, avec un goût d’inachevé qui perdure : « Après les études, quand je commence mon premier travail, je ne connais pas ma limite échiquéenne… Si j’avais continué à ce moment-là, je serais peut-être passé grand maître international ».
Alors il mêle vie professionnelle et vie échiquéenne en posant des congés sans solde pour faire des tournois… mais trop fatigué par ce rythme, il perd beaucoup de parties, en arrive presque à être dégouté. Et puis, à côté, un prêt qui court toujours afin de financer ses études et son installation à Lille. « À ce moment-là, je me dis qu’il va falloir que je sois malin… Je n’arrive pas à progresser dans ces conditions mais je crois en moi à 2000%, conclusion : il me faut ma liberté financière pour faire plus d’échecs ». Après Lille, Joachim enchaîne avec deux autres postes d’auditeur financier, à Rouen puis à Paris chez Deloitte. Puis le déclic, en 2017. Un tournoi à Barcelone. La rencontre avec le joueur Axel Delorme. « Je me retrouve avec lui en appartement pour partager les frais, se remémore Jo, on fait quelques blitz le soir, on discute, je lui parle de mon rêve d’être grand maître international, je lui partage mes envies, mes doutes ». Quelques mois passent et le téléphone de l’auditeur financier vibre : « Je revois exactement la scène, je suis à La Défense dans la tour Majunga en train de bosser et je vois que j’ai un message d’Axel : ‘Jo, un entraineur quitte le club de Clichy, une place se libère et tu m’as parlé de ta volonté de reconversion, c’est peut-être une opportunité, c’est un travail à mi-temps qui te laisserait le temps de t’entrainer’ ». Instantanément, Joachim prend conscience que c’est le message qu’il attendait.
Entraîneur ou joueur ?
Jo présente la situation à sa copine de l’époque, qui ne comprend pas trop : « Elle est inquiète, elle avait choisi un mec carré, auditeur financier, elle s’attendait à une vie bien réglée or je lui dis que je balance tout ! Je passe d’un salaire de 3.000 euros par mois au Smic ». Au début, il n’hésite pas à être livreur à vélo pour encaisser le choc financier tout en donnant des cours au club de Clichy et en partageant ses connaissances en cours particuliers. Nous sommes en octobre 2018 et psychologiquement, Jo se dit « au max ! ». Une nouvelle routine se met en place, certes plus plaisante, mais un danger guette déjà : consacrer beaucoup trop de temps au statut d’entraineur au dépend de celui de joueur. « Après six heures de cours sur comment bouger le cavalier, tu n’as pas envie de bosser les échecs quand tu rentres à la maison », reconnait Joachim.
Et puis, un nouveau déclic. Début 2020, la pandémie de Covid-19 s’abat sur le monde. Tandis que la France plonge dans le confinement, le club d’échecs de Cergy organise un tournoi en ligne où les joueurs doivent commenter en direct leurs parties. Jo prend tout de suite goût à l’exercice : « Je suis comme un fou, j’aime beaucoup ce moment, je commence à crier dans le micro à chaque partie et après coup, l’organisateur du tournoi me dit que j’ai battu un record d’audience avec plus de 100 personnes connectées ». L’idée est née : devenir joueur d’échecs et créateur de contenus. Pendant quelques mois, Joachim se familiarise avec l’outil internet, s’équipe petit à petit en matériel – la fibre, un micro, les logiciels de montage – mais les viewers ne pleuvent pas… jusqu’à la rencontre de celui connu par la communauté sous le pseudonyme d’Acezoo mais qui s’appelle en réalité Vincent Vo. Ce dernier, très familier de Twitch à travers son expérience de joueur de League of Legends, voit en Joachim un talent fou de streamer. « Il est très difficile de se créer une communauté sur Twitch et Vincent me poussait à créer une chaîne YouTube pour créer cette communauté et faire grandir mon audience mais je ne le faisais pas… », se rappelle Jo. Alors Acezoo prend les commandes : il publie le 25 avril 2021 la première vidéo de la chaîne YouTube de Joachim Mouhamad, qui est la rediffusion d’un de ses directs sur Twitch.
Il se découvre un talent fou de streamer
« Un des hommes les plus heureux du monde »
Depuis, Joachim construit sa vie idéale, au fur et à mesure. Assez solitaire par nature, le joueur organise son emploi du temps en fonction des échecs : « Je ne sors quasiment pas de chez moi sauf pour me balader, car aller au restaurant ou boire des verres, ce n’est pas mon truc, je suis capable de rester enfermer tout le temps pour faire des échecs ! ». Une journée classique ? réveil vers 8 ou 9 heures, café en parcourant les réseaux sociaux pour voir l’évolution de son nombre d’abonnés, de vues, pour lire les commentaires sur ses vidéos. Ensuite, à partir de 10 heures et jusqu’au déjeuner, place aux exercices, « par exemple ce matin j’ai analysé les parties que j’ai jouées hier soir en direct sur Twitch mais parfois je fais de la tactique, parfois je m’entraine avec un partenaire et deux fois par semaine, je donne un cours particulier ». En début d’après-midi, place à la lecture échiquéenne. Derrière lui, sa petite bibliothèque contient 90% de livres sur les échecs, dont une série sur l’histoire du jeu qu’il lit et relit régulièrement : My Great Predecessors de Garry Kasparov. Micro-sieste. Vient ensuite le moment de travailler sur le contenu soit en tournant des vidéos, soit en faisant du montage, soit en se renseignant sur l’amélioration de son matériel. La fin d’après-midi se profile et avec elle, de 18 heures à 20 heures, un live sur Twitch, tous les jours du lundi au vendredi, pendant lequel Joachim joue des parties. Enfin, le repos.
Il se force à décrocher…
Enfin, le repos. Sa copine actuelle rentre du travail et il se force à décrocher : « Très souvent, j’ai envie de continuer à bosser parce que je suis passionné par ce que je fais ! ». Dans ce programme bien réglé s’intercalent des tournois d’échecs. L’objectif sous-jacent de la dynamique mise en place : s’impliquer toujours davantage en tant que joueur et de moins en moins en tant qu’entraineur. La vie de rêve de Joachim ? « Le matin, du soleil, de l’air frais, un café et une table en bois sur laquelle je m’entraine aux échecs, je lis des bouquins et une ou deux fois par mois, je joue un tournoi. En complément, je partage mes parties en vidéos car j’apprécie beaucoup transmettre et partager mon aventure avec les autres. Faire ça, ce serait un gros kiff ! ». Quand nous lui faisons remarquer que cette vie idéale correspond à peu de choses près à sa réalité, il sourit : « Je suis un des hommes les plus heureux du monde ». Manque seulement le fameux titre de grand maître international…